Le besoin d'un processus de transition défini, professionnel et efficace

Ottawa ON
Canada

Allocution prononcée par l’ombudsman des vétérans, Guy Parent, devant le Sous-comité sénatorial des anciens combattants du Comité permanent sénatorial de la sécurité nationale et défense.

Madame la Présidente, chers membres du Comité,

Merci de me donner l’occasion de vous faire part de mes réflexions alors que vous entamez votre étude sur le besoin d’un processus de transition défini, professionnel et efficace.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, je suis un vétéran ayant servi dans les Forces armées canadiennes pendant 37 ans. Je connais les défis liés à la transition, autant sur le plan personnel que professionnel, grâce à ma propre expérience, à celle de mon fils ayant servi dans les Forces armées canadiennes en Bosnie et en Afghanistan, ainsi qu’à l’expérience de milliers de vétérans que j’ai rencontrés et avec qui j’ai travaillé aux quatre coins du Canada depuis ma nomination en tant qu’ombudsman des vétérans en 2010. Je ne fais pas que parler de la transition; j’ai moi-même vécu la transition de la vie militaire à la vie civile et c’est pour cela que je me retrouve devant vous aujourd’hui.

Il y a presque 700 000 vétérans au Canada et plus de 100 000 membres actifs des Forces armées canadiennes, sans compter toutes leurs familles. Tous n’auront pas besoin de l’assistance d’Anciens Combattants Canada, mais ceux et celles dont c’est le cas devraient recevoir les avantages et les services nécessaires, et quand ils en ont besoin.

Je suis une voix indépendante et impartiale pour tous les militaires actifs et les vétérans qui sont servis par Anciens Combattants Canada. Je suis également un conseiller spécial du ministre des Anciens Combattants. À ce titre, je suis le lien direct entre le ministre et la communauté des vétérans. Je l’informe régulièrement des questions d’intérêt pour les vétérans et leur famille.

Chaque année, plus de 10 000 militaires sont libérés de la Force régulière et de la Force de réserve, dont environ 1 600 pour des raisons médicales. C’est beaucoup de gens qui vivent une transition.

En août 2014, j’ai lancé un projet avec l’Ombudsman du MDN et des FC visant à examiner le processus de transition de A à Z. Les principales constatations issues de ce projet ont montré pourquoi la transition est souvent une expérience déroutante et frustrante pour les vétérans et leur famille.

Par exemple, plusieurs joueurs provenant d’organisations distinctes – en fait, au moins 15 – sont impliqués dans le processus de transition. Chacun d’eux possède un cadre de responsabilisation, un mandat et un processus distincts. Le résultat? Un chevauchement des efforts, des lacunes et un manque d’uniformité entre les groupes et les régions géographiques.

Nous avons déterminé des obstacles précis à une transition réussie :

  • Le système est caractérisé par « plusieurs points de service » puisqu’un processus de transition intégré comportant un point de service unique pour tous les membres de la Force régulière et de la Force de réserve en voie de libération n’a pas été établi par le ministère de la Défense nationale, les Forces armées canadiennes et Anciens Combattants Canada.
  • Les services offerts ne sont pas uniformes dans l’ensemble du pays et les partenaires de service ne sont pas tous situés sous un même toit pour fournir un « point de soutien unique » réellement centré sur le vétéran.
  • Chaque ministère possède un système de gestion de cas différent et une variété de formulaires de consentement, et il existe un manque d’uniformité sur le plan des services dans tout le pays.
  • Les centres intégrés de soutien du personnel sont d’excellentes installations pour les militaires ayant été libérés pour des raisons médicales complexes, mais ces cas ne représentent que 10 pour cent des libérations pour des raisons médicales.
  • Un chevauchement subsiste au sein des programmes de réadaptation professionnelle, d’éducation et d’invalidité de longue durée, ce qui complique les choses et sème la confusion.

Récemment, mon équipe a réalisé une petite étude qualitative pour mieux comprendre les éléments qui contribuent à une transition réussie. Cette étude est basée sur les expériences vécues par les vétérans libérés pour des raisons médicales et qui s’identifient comme ayant réussi leur transition. Nous publierons les résultats dans les mois à venir, mais en attendant, je veux vous parler de certaines de nos constatations initiales.

Le plus grand défi dont on entend parler est la complexité de faire face à la bureaucratie des Forces armées canadiennes et d’Anciens Combattants Canada. Obtenir les renseignements et les services auxquels ils ont droit et accéder aux soins pour combler leurs besoins est tout un exploit.

Les participants ont parlé de manques de communication entre différents bureaux qui gèrent leurs dossiers, des renseignements incomplets, mauvais ou incorrects qui leur ont été fournis, et d’un sentiment de surdose d’information. En d’autres mots, c’est comme essayer de faire un casse-tête lorsqu’on ne sait pas à quelle image il doit ressembler.

Lorsqu’on les a interrogés sur le fait de trouver un sens à leur vie en dehors des forces armées, les participants ont dit qu’il s’agissait d’un grand défi puisqu’ils avaient passé la majorité de leur vie d’adulte dans cet environnement. Il s’agit là d’une constatation déterminante puisqu’elle souligne l’importance d’intégrer le développement de l’estime de soi et l’identification d’un nouveau sens à la vie après le service militaire au processus de transition.

L’un des vétérans a dit :

« L’armée était ma vie, ma famille; c’était tout pour moi. »

Un autre a dit :

« J’ai réalisé que je ne savais pas qui j’étais en dehors de l’armée. Qui suis-je? Qu’est-ce que l’avenir me réserve? »

Le général Vance, chef d’état-major de la défense, a mentionné que le processus de transition a besoin d’être professionnalisé, tout comme celui du recrutement. À quoi ressemble le processus de recrutement?

  • Les centres de recrutement et les détachements sont localisés aux quatre coins du Canada.
  • Il existe un portail unique pour les membres de la Force régulière et de la Force de réserve. C’est un outil complet et convivial.
  • Le processus est très structuré et organisé en étapes simples, et il offre une attention personnalisée.
  • Il existe un point de service unique (en ligne ou en personne) où une personne répond à vos questions, prévoit vos entrevues, vous donne une liste détaillée des étapes à suivre et vous aide en tout temps.
  • On réalise une entrevue et un test qui servent à déterminer les atouts et les intérêts de chacun, et à la fin, un parcours de carrière propre à chaque militaire.
  • Lorsqu’une décision est prise, vous signez un contrat définissant clairement vos conditions de service et vous devez attendre que toutes les approbations soient en place avant de vous enrôler.
  • Après votre enrôlement, vous recevez une carte d’identité que vous devez avoir sur vous en tout temps, et ce, tout au long de votre carrière. Cette carte est votre nouvelle identité.
  • Puis, vous commencez votre instruction de base et votre instruction professionnelle, qui vous façonneront selon la devise « le service avant soi » et qui vous prépareront à votre nouveau parcours de carrière et à votre nouvelle vie. Vous êtes fébrile à la pensée de ce que l’avenir vous réserve.
  • Dans le cadre de ce processus d’accueil, vous mettez en place des réseaux sociaux qui subsisteront pendant et après votre carrière. Ces réseaux offrent du soutien, de l’encouragement et de la camaraderie.

À la fin du processus de recrutement, le militaire sent réellement qu’il fait partie de quelque chose qui est plus important que sa propre personne, et que son avenir est tracé. Un civil se transforme en un membre des Forces armées canadiennes. Puis, tout cela s’accomplit sous un seul modèle de responsabilisation de gouvernance.

Tout comme le processus de recrutement dans les Forces armées canadiennes, le processus de transition doit être défini, professionnel et efficace. Cela signifierait une vraie transformation. Cela signifierait également que nous respectons notre obligation de veiller à ce que les hommes et les femmes qui ont consacré leur vie à servir notre pays aient accès aux programmes et aux services dont ils ont besoin pour faire la transition vers une nouvelle vie.

L’un des vétérans interrogés a dit :

« Je me suis enrôlé dans l’armée à 19 ans. Avant cela, j’étais à l’école secondaire. Je n’ai jamais vraiment vécu ma vie d’adulte en étant un civil. Je n’ai pas l’impression de retourner à la vie civile. Je sens plutôt que je vais devenir un civil pour la première fois. »

J’imagine un processus de transition pour tous les membres des Forces armées canadiennes en voie de libération, tant ceux de la Force régulière que de la Force de réserve, qui comprendrait des éléments semblables à ceux du processus de recrutement, tels que :

  • Des centres de libération accessibles dans tout le pays :
    • un portail unique
    • sous une seule autorité;
  • Des avantages en place à la libération;
  • Un point de service unique assigné aux membres de la Force régulière et de la Force de réserve, c’est-à-dire un facilitateur, qui :
    • aiderait à remplir les formulaires et à présenter une demande unique pour tous les avantages;
    • aiderait à planifier la libération des militaires et à établir les rendez-vous nécessaires;
    • donnerait des conseils relativement aux organismes tiers qui pourraient offrir du soutien;
    • réaliserait un suivi à des intervalles prédéterminés après la libération pour s’assurer que les besoins évolutifs sont comblés;
  • Un soutien axé sur les militaires blessés qui retournent au travail. S’ils ne peuvent pas retourner au travail et si leur cas est trop complexe, le CISP les aiderait à coordonner leur libération en collaboration avec les centres de libération;
  • Il y aurait un seul programme pour la réadaptation professionnelle et l’invalidité de longue durée afin de réduire la complexité et la confusion.
  • Un conseiller professionnel pour aider à déterminer les besoins des militaires en matière d’éducation, de formation ou d’emploi, et pour les aider à trouver un nouveau sens à leur vie selon leurs attributs et leurs désirs;
  • Une carte d’identité des vétérans émise à chaque militaire en voie de libération qui non seulement reconnaît leur service, mais qui permet aussi à Anciens Combattants Canada de réaliser un suivi proactif auprès d’eux à la suite de leur libération.

Dans ce processus de transition défini, professionnel et efficace, les militaires en voie de libération et leur famille commenceraient une nouvelle vie qui aurait un nouveau sens; une vie personnalisée à leurs besoins et qui offrirait le meilleur avenir possible, que les militaires soient retraités, employés, aux études ou bénévoles de la collectivité.

Je crois que toutes les mesures susmentionnées sont possibles et que nous pouvons les réaliser facilement et rapidement.

Un changement de taille doit être fait pour atteindre cet objectif. Nous devrons tout réorganiser plutôt que d’ajuster ce qui existe. Après des décennies à superposer des lois et des politiques les unes sur les autres, le processus que nous avons aujourd’hui est trop complexe, déroutant et difficile à suivre pour nos militaires en voie de libération. Le système a besoin d’être complètement révisé.

Je salue ce Comité de relever ce défi. Vous avez une chance historique d’effectuer un changement pour les hommes et les femmes qui ont si bien servi ce pays.

Je reconnais également l’engagement qu’a pris le gouvernement du Canada, dans le budget de 2017, à entreprendre une transformation des programmes du MDN et d’ACC pour veiller à ce que nos femmes et nos hommes en uniforme profitent d’une meilleure transition entre les Forces armées canadiennes et ACC, et je suis impatient de vous faire parvenir les détails.

Les vétérans ont besoin d’espoir pour leur avenir, et ils ne méritent rien de moins.

Merci.

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