Allocution d’ouverture prononcée par Guy Parent, ombudsman des vétérans, devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes

Ottawa ON
Canada

Monsieur le Président, membres du Comité, chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Merci de m’avoir invité à vous faire part de mes réflexions sur les moyens d’« équilibrer le budget fédéral pour assurer la viabilité financière et la croissance économique ».

En tant qu’ombudsman des vétérans et conseiller spécial du ministre des Anciens Combattants, j’ai surtout comparu devant les comités des anciens combattants et de la défense nationale de la Chambre des communes ou du Sénat. Chaque fois, j’ai présenté une position fondée sur des données probantes pour exposer les lacunes actuelles de l’aide fédérale aux vétérans, en particulier à ceux qui sont atteints des invalidités les plus graves.

La solution à certaines de ces lacunes exige un accroissement des dépenses fédérales; d’autres nécessitent le regroupement des programmes actuels pour faciliter la transition des vétérans vers la vie civile et la réduction de la paperasse, en particulier pour la prestation des services. Tout ceci suffirait à accroître l’efficacité et améliorer les services offerts aux vétérans. Dans les deux instances, le budget 2015 du gouvernement fédéral doit absolument répondre aux besoins immédiats non comblés de ces vétérans et de leur famille en donnant suite aux recommandations du rapport de juin 2014 du Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes, La Nouvelle Charte des anciens combattants : Allons de l’avant. Les vétérans s’attendent vraiment à ce que le prochain budget remédie aux lacunes de longue date des programmes. C’est d’ailleurs dans cette optique que je travaille en étroite collaboration avec le cabinet du ministre des Anciens Combattants, l’honorable Julian Fantino, et avec les fonctionnaires du ministère des Anciens Combattants pour tenter d’apporter des améliorations significatives à la Nouvelle Charte des anciens combattants.

Nous sommes nombreux à reconnaître intuitivement l’existence d’un lien direct entre la manière dont un pays traite ses vétérans et sa capacité de recruter et de maintenir en poste des militaires. C’est tout à fait logique. Si les besoins des vétérans blessés ou malades ne sont pas comblés, pourquoi choisirait-on de faire ou poursuivre une carrière militaire? Pour cette raison, nous devons remédier aux lacunes des programmes pour venir en aide à nos vétérans – non seulement parce que nous devons acquitter notre dette pour les services qu’ils ont rendus à notre pays, mais aussi parce qu’il s’agit d’une question de sécurité nationale.

Permettez-moi de mettre les choses en perspective. Le Canada compte aujourd’hui quelque 700 000 vétérans des Forces armées canadiennes et de la Gendarmerie royale du Canada. Environ 15 pour cent sont des clients d’Anciens Combattants Canada. Dans la majorité des cas, ces clients sont atteints d’une invalidité jugée mineure. Ceux qui souffrent des invalidités les plus graves ne représentent qu’un pour cent de la population totale de vétérans.

Cependant, quand nous songeons aux vétérans aujourd’hui, nous avons tendance à imaginer des personnes blessées ou malades qui ont besoin d’aide gouvernementale. En un sens, c’est dans l’ordre des choses. Mais, même si nous ne devons jamais oublier ceux qui ont tant sacrifié pour leur pays, je crois qu’il est temps de commencer à prêter plus d’attention à nos vétérans en santé, ceux qui réintègrent leur collectivité locale avec un minimum de soutien.

Lorsqu’ils étaient en service, ces vétérans ont bénéficié de millions de dollars d’aide aux études, d’aide technique et d’aide au perfectionnement professionnel. Ils ont aussi acquis une expérience en leadership qui ne peut s’obtenir nulle part ailleurs. Ce sont donc des personnes qualifiées, chevronnées et fiables, doublées d’une solide éthique de travail. N’est-ce pas là l’ensemble des attributs recherchés par les employeurs canadiens?

Pourtant, aujourd’hui, le Canada ne tire pas suffisamment parti du temps et de l’argent investis dans la formation professionnelle de ces hommes et de ces femmes. Lorsque ces derniers terminent leur service, nous nous contentons la plupart du temps de les remercier, après quoi ils disparaissent de nos écrans radar.

Pourtant, les vétérans font partie intégrante de notre quotidien – comme premiers intervenants, entraîneurs, bénévoles et membres de clubs philanthropiques –, et, bien souvent, nous ne sommes même pas conscients du fait qu’il s’agit de vétérans. Je crois que, compte tenu des défis de l’économie mondiale du XXIe siècle, le temps est venu de réellement mettre à profit les compétences de ces hommes et des ces femmes lorsqu’ils retournent à la vie civile.

Les vétérans peuvent nous aider à assurer la viabilité financière et la croissance économique de notre pays. Ils peuvent aider le Canada à renforcer son rôle de leadership dans l’économie mondiale du XXIe siècle. Il s’agit simplement d’envisager les vétérans selon une nouvelle perspective. Il s’agit de recommencer à traiter les vétérans comme un investissement.

Pourquoi « recommencer »? Parce que l’histoire nous montre que, lorsqu’un million de femmes et d’hommes sont rentrés de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement du Canada disposait d’un plan stratégique pour veiller à ce que ces vétérans acquièrent les compétences nécessaires pour réintégrer la vie civile. Les vétérans, à leur retour, se sont établis dans tous les coins du pays et sont devenus le catalyseur du boom économique des années 1950 et 1960. Nous ne nous sommes pas contentés de parfaire leurs compétences pour la vie civile; nous leur avons aussi consenti des prêts, des subventions, de l’assurance et d’autres incitatifs pour garantir leur réussite. Aux États-Unis, il est estimé que le GI Bill de l’après-guerre a permis de générer un rendement de 7 $ pour chaque dollar dépensé.

Les sommes investies dans les vétérans par le Canada après la Seconde Guerre mondiale ont certes amélioré l’économie, mais ce n’est pas tout : elles ont aussi changé le tissu social de la société canadienne. Notre régime national d’assurance-maladie s’inspirait du réseau fédéral d’hôpitaux pour les vétérans. De même, les obstacles socioéconomiques qui empêchaient les citoyens de faire des études collégiales ou universitaires ont été éliminés grâce à la création d’établissements d’enseignement postsecondaire un peu partout au Canada pour répondre aux besoins des vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Enfin, si la plupart des citoyens du pays peuvent être propriétaires d’une maison aujourd’hui, c’est grâce à la Société canadienne d’hypothèques et de logement, un programme créé à l’origine pour les vétérans.

Je crois donc qu’il est temps de cesser de voir les vétérans comme un fardeau financier et de recommencer à les voir comme un investissement important que nous pouvons faire dans notre économie et dans notre sécurité nationale. Il est logique d’accorder aujourd’hui davantage d’attention à cet investissement et de veiller à ce qu’il porte ses fruits au moment de la transition des vétérans vers la vie civile. Pour ce faire, il s’agirait, dans la plupart des cas, non pas de créer de nouveaux programmes, mais plutôt de mieux coordonner ceux qui existent déjà.

Voici un exemple de ce qui pourrait être fait en Nouvelle-Écosse. Le gouvernement provincial a récemment publié le rapport Ivany, qui fait état du déclin des collectivités rurales et de la nécessité de renouveler leur économie. Ce rapport précise qu’il faudra une harmonisation beaucoup plus efficace des politiques en vigueur et une collaboration accrue entre le gouvernement fédéral, les provinces et les administrations municipales pour accroître la résilience et la solidité économique des collectivités rurales. Comme la Nouvelle-Écosse est l’une des nombreuses régions du Canada qui comptent une forte population de vétérans, ne serait-il pas souhaitable d’harmoniser les programmes et les compétences des vétérans avec les besoins fédéraux, provinciaux et municipaux? Dans d’autres secteurs économiques, ne pourrions-nous pas travailler avec des établissements d’enseignement postsecondaire pour tirer parti des forces des vétérans et modifier les programmes pour les adapter à des professions affligées par une pénurie de travailleurs?

Je pourrais vous faire part de nombreuses autres idées à envisager, mais le temps qui m’est réservé ne me permet que de vous donner un avant-goût de ce qui est dans le domaine du possible.

En ce qui a trait à la viabilité, il suffit de se rappeler que, chaque année, les Forces armées canadiennes libèrent plus de 5 000 membres hautement qualifiés et expérimentés. Le moment est venu de remédier, dans le prochain budget, aux lacunes de la Nouvelle Charte des anciens combattants et de commencer à envisager les choses à long terme. Nous avons l’occasion de contribuer à la viabilité financière et à la croissance économique de notre pays en changeant la manière dont nous percevons les vétérans. Le Canada peut tirer profit de ce changement. Voici donc ce que je vous propose : saisissons cette occasion de reconnaitre le plein potentiel de nos vétérans et mettons-nous à la tâche. Nous leur devons bien plus encore.

Merci.

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